Lumière sur …. 3 nouvelles sources d’obligations pour les entreprises en matière de protection de l’environnement

La protection de l’environnement est un enjeu incontournable de notre ère. Nouveau moteur du développement de l’économie mondiale, elle a entraîné l’adoption de nombreuses règlementations dans le but d’encadrer les pratiques des acteurs économiques et de les responsabiliser face aux préoccupations environnementales en forte croissance. Cette dynamique s’est renforcée depuis septembre 2015, lorsque les 193 États membres de l’ONU ont adopté un programme de développement durable à l’horizon 2030 intitulé « Agenda 2030 » fixant 17 objectifs de développement durable à atteindre[1].

Dans cette démarche, l’Union européenne ne cesse de renforcer son cadre législatif en matière de durabilité à travers diverses initiatives. Trois textes récents incarnent cette volonté à travers différents primes : la directive dite « CSRD » par le reporting extrafinancier des entreprises (1), la directive sur le droit à la réparation s’inscrivant dans un objectif de lutte contre l’obsolescence programmée et octroyant un levier supplémentaire aux consommateurs pour la durabilité de leur produits (2) et enfin le règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts contraignant les entreprises à produire dans le strict respect de l’environnement (3).

 

1/ Une évaluation de la durabilité des entreprises grâce à la CSRD

Applicable depuis le 1er janvier 2024, la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD)[2], impose aux entreprises de nouvelles obligations de reporting[3] extra-financier visant à améliorer la transparence et la comparabilité des informations sur leur durabilité. Les entreprises doivent transmettre, par le biais de ce reporting, des données :

  • Sociales : égalité des chances, conditions de travail, mesures adoptées contre la corruption…
  • Environnementales : atténuation et adaptation au changement climatique, biodiversité, définition des enjeux environnementaux à court et moyen terme…
  • De gouvernance : rôle des organes d’administration, gestion des risques, diversité au sein des conseils exécutifs…

Dans un objectif d’harmonisation et de meilleure comparaison des données, ces dernières doivent être transmises dans le respect des normes de standardisation européennes dites « ESRS »[4] et devront être publiées dans une section dédiée du rapport de gestion des entreprises concernées.

Sont assujetties à l’obligation de reporting :

  • Toutes les sociétés cotées sur les marchés règlementés européens, à l’exception des microentreprises telles que définies par l’article 3 de la directive 2013/34/UE du 23 juin 2023 dite « directive Comptable » et dont le premier reporting devra être publié en 2025. Toutefois, les PME bénéficient d’obligations de reporting allégées.
  • Toutes les autres grandes entreprises européennes, c’est-à-dire, selon la directive Comptable, les sociétés, cotées ou non, au-dessus de deux des trois seuils suivants : 250 salariés ; 40 M€ de chiffre d’affaires et/ou 20 M€ de total de bilan, dont le premier reporting doit être publié en 2026 ;
  • Certaines sociétés non européennes ayant un chiffre d’affaires européen supérieur à 150M€ et une filiale ou succursale basée dans l’Union européenne, dont le premier reporting devra être publié en 2029.

En plus des normes ESRS, de nouvelles normes seront progressivement adoptées par voies d’actes délégués[5] afin de structurer les données à communiquer par les entreprises :

  • Des normes « universelles » applicables à l’ensemble des sociétés, quel que soit leur secteur d’activité. Elles couvrent les enjeux transversaux ainsi que l’ensemble des thématiques socio-environnementales ;
  • Des normes sectorielles ;
  • Des normes spécifiques pour les PME cotées sur les marchés règlementés.

Par ailleurs, la CSRD instaure une double matérialité consistant à analyser tous les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sous un double prisme. La matérialité permet d’identifier les informations comptables susceptibles d’avoir un impact sur la performance financière d’une entreprise. Concrètement, une information est dite matérielle lorsqu’elle dépasse un « seuil de signification », un montant au-delà duquel les décisions économiques, notamment celles des investisseurs, sont susceptibles d’être influencées.

Ces deux prismes sont les suivants :

  • La matérialité financière ; c’est-à-dire les impacts positifs et négatifs des enjeux de durabilité sur les performances financières de l’entreprise ;
  • La matérialité d’impact ; à savoir les impacts positifs et négatifs de l’entreprise sur son environnement économique, social et naturel.

Sur la plateforme Impact mise en place par le gouvernement (https://www.impact.gouv.fr/ ), les entreprises peuvent évaluer leurs performances selon 45 indicateurs ESG.

En cas de non-respect des obligations de reporting, de lourdes sanctions peuvent être prononcées à l’égard du dirigeant :

  • Amende de 3750 euros en cas de non-publication du reporting ou de publication d’informations partielles ou erronées ;
  • Amende de 30 000 euros et jusqu’à 2 ans d’emprisonnement en cas de non-audit du reporting extra-financier ;
  • Amende de 75 000 euros et jusqu’à 5 ans d’emprisonnement en cas d’entrave aux vérifications ou contrôles des auditeurs.

Les démarches instaurées par la directive CSRD visent à promouvoir une transparence accrue des pratiques des entreprises, tout en encourageant une gestion plus responsable. Toutefois, l’Union européenne ne limite pas son approche durable aux pratiques internes des organisations et l’étend également à la manière dont les produits eux-mêmes sont conçus, utilisés et réparés. C’est dans ce cadre qu’intervient la directivité sur le droit à la réparation ayant pour objet de prolonger la durée de vie des produits et à réduire les déchets, en facilitant l’accès des consommateurs aux services de réparation et aux informations sur les pièces détachées.

 

2/ Un nouveau levier pour les consommateurs : la directive européenne sur la réparabilité

         Pilier de la transition énergétique française et priorité de la Convention citoyenne[6], l’interdiction de la lutte contre l’obsolescence programmée passe notamment par un soutien aux secteurs de la réparation[7]. En réponse à cet enjeu environnemental majeur, la directive européenne du 13 juin 2024 dite « Droit à la réparation »[8], vise à encourager la durabilité des produits et réduire les déchets électroniques. Pour cela, elle rend les conditions de réparation des produits plus attractives pour les consommateurs en imposant des obligations contraignantes aux fabricants, désormais tenus de réparer les produits techniquement réparables[9], depuis le 30 juillet 2024.

La directive établit une liste exhaustive des produits couverts par les obligations de réparabilité, à savoir :

  • Les téléphones portables et tablettes,
  • Les lave-linges et sèche-linges,
  • Les lave-vaisselles,
  • Les aspirateurs,
  • Les nettoyeurs à haute pression,
  • Les réfrigérateurs,
  • Les matériaux de soudage,
  • Les serveurs et produits de stockage de données.

S’il choisit de réparer son produit plutôt que d’en acheter un nouveau pendant la période de garantie légale, le consommateur bénéficie d’une extension de garantie d’un an l’incitant ainsi à se tourner vers cette solution plus durable.

De plus, le consommateur peut plus facilement entrer en contact avec les réparateurs de sa région grâce à la nouvelle plateforme en ligne de mise en relation du consommateur et du réparateur. Se trouveront sur cette plateforme les ateliers de réparation agréés, les expertises mises en service ou encore les avis d’autres consommateurs sur lesdits ateliers.

Enfin, la directive met en place un formulaire européen d’informations sur la réparation, comprenant des informations sur le processus de réparation, les délais, les coûts et autres conditions spécifiques.

En parallèle de cette avancée significative en matière de droit à la réparation, l’Union européenne intensifie également ses efforts contre la perte de biodiversité et agit directement sur le changement climatique en adoptant un règlement afin de lutter contre les produits issus de la déforestation et/ou favorisant la dégradation des forêts.

 

3/ Une protection directe de l’environnement par le règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts.

L’objectif du Règlement 2023/1115[10] est de réduire le plus possible la part de l’Union Européenne dans la déforestation et dans la dégradation des forêts dans le monde. Pour ce faire, les commerçants et opérateurs[11] de produits bovins, de cacao, de café, d’huile de palme, de caoutchouc, de soja et de bois doivent s’assurer, à compter du 30 juin 2025, que ces produits :

  • Soient issus d’une politique « zéro déforestation » ;
  • Qu’ils respectent la législation du pays d’origine ;
  • Qu’ils fassent l’objet d’une déclaration de diligence raisonnée.

Le règlement institue une obligation de déclaration à la charge des opérateurs et des commerçants afin que ces derniers contribuent efficacement à l’atteinte des objectifs fixés.

Tout d’abord, les opérateurs et les commerçants doivent exercer une « diligence raisonnée » avant d’importer, d’exporter ou de vendre sur le marché les produits listés en cause. La diligence raisonnée est une déclaration devant être complétée par les opérateurs et les commerçants, dans le système d’information européen dédié, avant chaque mise sur le marché, afin de garantir la légalité des produits et l’absence de provenance de la déforestation. Ces acteurs ont l’obligation de transmettre à leurs clients les informations relatives à la diligence raisonnée et son numéro de déclaration. Les TPE/PME sont exemptées de la déclaration de diligence raisonnée.

Trois étapes composent la déclaration de diligence raisonnée :

  • Étape 1 : Le « recueil d’informations » au cours duquel l’entreprise renseigne la quantité de produits mis sur le marché ou exportés, la description de ceux-ci, les pays et zones de production, ses fournisseurs etc…[12];
  • Étape 2 : L’« évaluation du risque » par l’entreprise qui doit estimer le niveau de risque du pays, l’ampleur de la déforestation… Si un risque de déforestation ou de dégradation est avéré, l’entreprise doit suivre la dernière étape.
  • Étape 3 : L’ « Atténuation du risque » au cours de laquelle l’entreprise doit fournir des données supplémentaires, fait l’objet d’enquêtes et audits supplémentaires.

Le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires ou le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire seront garants du contrôle annuel du respect de ces dispositions. Diverses sanctions sont encourues pour le non-respect des obligations imposées par le Règlement :

  • Confiscation des produits non conformes et de leurs revenus ;
  • Amende pouvant atteindre 4% du chiffre d’affaires annuel ;
  • L’exclusion temporaire, pendant une période maximale de douze mois, des procédures de passation de marchés publics et de l’accès au financement public, y compris les procédures d’appels d’offres, les subventions et les concessions ;
  • L’interdiction temporaire de mettre sur le marché ou de mettre à disposition sur le marché ou d’exporter des produits de base en cause et des produits en cause en cas d’infraction grave ou d’infractions répétées ;
  • L’interdiction d’exercer la diligence raisonnée simplifiée énoncée à l’article 13 en cas d’infraction grave ou d’infractions répétées ;
  • Publication sur le site internet de la Commission européenne du jugement définitif prononcé à l’encontre de la personne morale ayant violé les dispositions du Règlement, qui comprend notamment le résumé des activités enfreignant le Règlement et la nature de la sanction.

 

Par le renforcement de son arsenal législatif, l’Union européenne s’affirme comme un acteur de la transition écologique en mettant l’environnement au cœur de ses préoccupations. En imposant des obligations de transparence aux entreprises, en favorisant la durabilité des produits et en luttant contre la dégradation des forêts, ces nouveaux textes européens mettent les acteurs économiques au défi d’allier performance économique et respect de l’environnement. De prime abord contraignante, la mise en conformité des entreprises à ces nouvelles règles offre une opportunité de se démarquer en contribuant à la construction d’une économie plus responsable et résiliente.

Le cabinet Inside est à votre disposition pour vous aider à naviguer dans ce nouveau cadre juridique en constante évolution !

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[1] ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L’ONU, Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030, Résolution 70/1, 25 septembre 2015.

[2] PARLEMENT EUROPÉEN ET CONSEIL, Directive (UE) 2022/2464 modifiant le règlement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, 14 décembre 2022.

[3] Le terme « reporting » est l’anglicisme utilisé pour désigner la communication de données.

[4] L’acronyme « ESRS » désigne l’European Sustainability Reporting Standards.

[5] COMMISSION EUROPÉENNE, « Actes délégués et actes d’exécution », https://commission.europa.eu/law/law-making-process/adopting-eu-law/implementing-and-delegated-acts_fr#implementing-acts.

[6] CONVENTION CITOYENNE POUR LE CLIMAT, Les Propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, 29 janvier 2021, p. 69.

[7] Ibid.

[8] PARLEMENT EUROPÉEN ET CONSEIL, Directive (UE) 2024/1799 établissant des règles communes visant à promouvoir la réparation des biens et modifiant le règlement (UE) 2017/2394 et les directives (UE) 2019/771 et (UE) 2020/1828 13 juin 2024.

[9] Article 5 de la Directive 2024/1799, op. cit.

[10] PARLEMENT EUROPÉEN ET CONSEIL, Règlement (UE) 2023/1115 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n°995/2010, 31 mai 2023.

[11] Art. 2 du Règlement (UE) 2023/1115, op. cit. :

Commerçant : « toute personne faisant partie de la chaîne d’approvisionnement, autre que l’opérateur, qui, dans le cadre d’une activité commerciale, met des produits en cause à disposition sur le marché »;

Opérateur : « Toute personne physique ou morale qui, dedans le cadre d’une activité commerciale, met des produits en cause sur le marché ou les exporte ».

[12] Article 9 du Règlement (UE) 2023/1115, op. cit.  

LUMIÈRE SUR… la nécessité de respecter le délai minimum d’une année en cas de modification du délai quinquennal de prescription

Un récent arrêt clarifie les possibilités de modification conventionnelle de la durée quinquennale de prescription.

 

Pour rappel :

  • L’article 2224 du Code civil précise que le délai de prescription est de 5 ans pour les actions personnelles et mobilières lorsque le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître des faits lui permettant d’exercer l’action en justice.
  • L’article 2254 du Code civil encadre ce délai, puisqu’il pourra être abrégée ou allongée par accord des parties, sans être réduite à moins d’un an ni étendue à plus de dix ans.

 

La Cour de cassation, par sa décision du 13 mars 2024, distingue le délai de forclusion du délai de prescription en rejetant l’argument avancé par la société SFR, qui soutenait que le délai instauré était un délai de forclusion (I). Elle précise également les contours de la modification conventionnelle du délai de prescription, telle que prévue par l’article 2254 du Code civil (II).

 

  1. Un délai de forclusion ou de prescription ?

L’association ADAPEI-ARIA de Vendée (l’association), ayant pour activité les services aux personnes souffrant de handicap mental, psychique ou physique a fait appel à la société SFR afin que ce dernier assure l’ensemble des prestations téléphoniques et internet de ses établissements.

 

À cet effet, l’association et la société SFR ont conclu un contrat-cadre comprenant des conditions générales de vente le 24 juin 2016. Ces conditions générales comportaient un article 7.4 stipulant que « de convention expresse entre les parties, aucune action judiciaire ou réclamation du client, quelle qu’elle soit, ne pourrait être engagée ou formulée contre la société SFR plus d’un an après la survenance du fait générateur. »

 

Le 13 décembre 2018, l’association invoque des dysfonctionnements perturbant son activité entre 2017 et 2018 et assigne la société SFR en résolution des contrats les liant ainsi qu’à la réparation de son préjudice.

 

La Cour d’appel de Paris répute non-écrit l’article 7.4 du contrat-cadre et prononce la résiliation du contrat aux torts de la société de télécommunications.

 

La société SFR se pourvoit en cassation et se prévaut de l’article 34-2 du Code des postes et des communications électroniques qui instaure un délai d’un an courant à compter de la date d’exigibilité du paiement. Selon elle, la clause insérée ne fait qu’instituer un délai de forclusion.

 

Cependant, la Cour de cassation ne suit pas le raisonnement de la société SFR et précise que « l’article 34-2 du Code des postes et des communications électroniques n’institue pas un délai de forclusion fixant un terme au droit d’agir dont est titulaire le créancier d’une obligation pré-déterminée à l’encontre du débiteur de celle-ci mais a pour objet de réduire conventionnellement le délai de prescription auquel sont soumises les actions en justice engagées par un client à l’encontre de la société SFR. »

 

Nous sommes donc bien dans le cadre d’un délai de prescription soumis aux articles 2224 et 2254 du Code civil.

 

       2. Le respect du délai minimum d’une année de l’article 2254 du Code civil.

 

La Cour de cassation rappelle la possibilité, instituée à l’article 2254 du Code civil, de modifier conventionnellement le délai de prescription de 5 ans.

 

Cependant, la Cour n’a pas été convaincu par le moyen soulevé par la société SFR, selon lequel le délai de l’article 7.4 du contrat conclu entre les parties serait un délai de forclusion.

 

C’est donc l’article 2254 du Code civil qui s’appliquera. La Cour de cassation rappelle ainsi que les parties ont la possibilité de modifier le délai quinquennal de prescription tout en respectant :

  • La durée minimale d’un an à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ;
  • La durée maximale de dix ans, toujours à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

 

La Cour de cassation motive ce point : il faut respecter cette durée minimum d’une année, en la reconnectant au point de départ de droit commun.

 

Or en l’espèce, le point de départ choisi par la société SFR réduit cette durée puisque cette dernière considère comme point de départ la survenance du fait générateur. Il ne suffit donc pas de respecter la durée minimum d’un an, encore faut-il considérer le point de départ du délai de prescription prévu par l’article 2224 du Code civil, comme le jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître des faits lui permettant d’exercer l’action en justice. En modifiant le point de départ du délai de prescription, la société SFR ne respectait pas le délai minimum, réduisant le délai de prescription à moins d’une année.

 

La Cour de cassation s’aligne ainsi sur la décision des juges du fond en qualifiant la clause de réputée non écrite.

 

Il est donc essentiel de porter une attention particulière à la fixation du délai de prescription ainsi qu’à son point de départ. Définir un point de départ différent de celui prévu par le droit commun pourrait réduire le délai de prescription, ce qui rendrait la clause réputée non écrite .

Lumière sur … l’appréciation de la notion de dénigrement en cas de dénonciation par un distributeur d’une pratique de réduflation.

De plus en plus de fournisseurs réduisent la quantité des biens proposés, tout en maintenant les prix à un niveau constant ou en les augmentant. Cette pratique, connue sous le nom de « shrinkflation« [1], n’est pas explicitement prohibée, mais manque de transparence à l’égard des consommateurs. C’est pourquoi, certains distributeurs font le choix d’en informer ouvertement leurs clients, par le biais d’affiches positionnées au sein de leurs enseignes, à côté des produits concernés. Cette démarche peut être perçue comme une forme de « name and shame« , suscitant ainsi un débat sur sa licéité.

Si ce type de campagne peut constituer une pratique commerciale déloyale (I), elle peut également s’apparenter à un exercice légitime du droit à l’information des consommateurs (II).

 

I. Dénonciation d’une pratique de réduflation constitutive de pratique commerciale déloyale et trompeuse

Le droit de la consommation sanctionne la pratique commerciale déloyale, c’est-à-dire contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qui altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (C. consom., art. L. 121-1). Le dénigrement est un type de pratique commerciale déloyale qui se définit comme la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent.

Dans l’affaire Carrefour c/ Pepsi Co, l’enseigne de grande distribution Carrefour a diffusé au sein de ses points de ventes une campagne de publicité intitulée « shrinkflation » indiquant aux consommateurs à propos des produits du groupe PEPSICO France « Ce produit vu son contenant baisser et le tarif pratiqué par notre fournisseur augmenter. Nous nous engageons à renégocier ce tarif ». Cette campagne, alors que s’ouvrent les négociations pour l’année 2024, a eu un impact immédiat et brutal sur PepsiCo puisque ses ventes chez CARREFOUR au dernier trimestre 2023 se sont effondrées. Pepsi Co accuse Carrefour d’avoir commis un acte de dénigrement sanctionné au titre de la concurrence déloyale et demande le retrait des affichettes.

Pour le juge des référés (T. Com. Paris 24 janvier 2024, n°2023069037), cette communication constitue une pratique commerciale déloyale et trompeuse susceptible d’altérer le comportement économique du consommateur, et ce, pour plusieurs raisons :

  • Carrefour commercialise des produits directement concurrents de ceux de PepsiCo, sous sa propre marque ;
  • Carrefour n’indique pas l’ordre de grandeur de l’augmentation du prix au kilo ou au litre ;
  • Les informations sont invérifiables puisque le discours est vague et subjectif ;
  • Carrefour mentionne le « tarif » du fournisseur qui est un élément de la relation commerciale entre PepsiCo et Carrefour, et qui n’est donc pas connu du consommateur.

 

II. Dénonciation d’une pratique de réduflation justifiée par le droit à l’information du consommateur

À l’inverse, quelques jours plus tard (T. Com. Paris 8 février 2024, n° 2024004179), le Tribunal de Commerce de Paris s’est prononcé dans une affaire similaire, mais considère cette fois qu’un distributeur peut dénoncer des pratiques de réduflation sans se rendre coupable de concurrence déloyale.

L’affaire concerne une campagne, à propos des produits des marques Unilever, Knorr, Magnum et Carte d’Or, diffusée dans les points de vente de la société Intermarché, informant les clients que « les nouveaux formats de quantité réduite ont subi une augmentation de prix injustifiée pouvant aller jusqu’à + 39 % » avec des slogans tel que « AVANT MAGNUM, ÇA VOULAIT DIRE GRAND ». Il était également indiqué pour certains produits qu’ils ne seraient plus disponibles en rayons en raison d’une hausse de prix injustifiée (« KNORR J’ADORE J’ADORAIS »).

Selon le juge des référés, l’enseigne de grande distribution Intermarché ne pratique aucun dénigrement puisque l’information qu’elle délivre par le biais de cette campagne :

  • Se rapporte à un débat d’intérêt général (les pratiques actuelles de hausses tarifaires);
  • Repose sur une base factuelle suffisante ;
  • Et est exprimée avec mesure.

 

III. Dans quelle mesure la dénonciation d’une pratique de « shrinkflation » est-elle dès lors condamnable ?

Le fait de dénoncer une pratique de shrinkflation est condamnable lorsque la dénonciation ne sert pas le débat d’intérêt général, mais surtout lorsque cette dénonciation n’est pas assez précise, quantifiable et caractérise une pratique commerciale déloyale et trompeuse.

C’est dans ce contexte, et par transparence envers le consommateur, que les pouvoirs publics se sont emparés du sujet par un arrêté du 16 avril 2024 afin de rendre un affichage obligatoire de cette information par les industriels dans l’intérêt des consommateurs.

En effet, à partir du 1ᵉʳ juillet 2024, il sera obligatoire, pour les distributeurs, lorsqu’un produit de grande consommation a subi une modification de poids ou de volume à la baisse entrainant une hausse de prix à l’unité de mesure de préciser de l’évolution du prix rapporté au poids, afin que le consommateur soit informé de l’évolution du prix.

[1] Néologisme dérivant de l’anglais et provenant de la contraction du verbe « to shrink » signifiant rétrécir et du mot « inflation », francisé en “réduflation”

 

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SOURCES :

LUMIÈRE SUR … le risque pour un fournisseur de restreindre l’activité de vente en ligne à ses distributeurs

L’Autorité de la Concurrence Française a rendu deux décisions concernant des qualifications d’ententes dans le secteur du luxe.

Tout d’abord, concernant la société Mariages Frères ayant une activité sur le marché du thé de luxe, les conditions générales de vente (CGV) régissant les relations entre Mariage Frères et ses distributeurs interdisaient à ces derniers de vendre les produits Mariage Frères sur Internet. Mariage Frères se réservait ainsi l’exclusivité de la vente de ses produits à distance et sur Internet.

Si les distributeurs étaient autorisés à indiquer sur leur site qu’ils commercialisaient les produits de la marque dans leur boutique, ils ne pouvaient en revanche les vendre sur Internet et ne pouvaient pas non plus utiliser le logo de la marque. Mariage Frères surveillait le respect de ces règles en demandant aux distributeurs qui avaient proposé ses produits à la vente en ligne de les retirer rapidement de leurs sites.

Conjointement, entre 2013 et 2021, alors que les distributeurs étaient confrontés à cette interdiction, la part des ventes réalisées en ligne par le groupe Mariage Frères a quant à elle plus que triplé. Toutefois, il résulte d’une pratique décisionnelle et d’une jurisprudence constante que cet objectif ne saurait justifier une paralysie absolue du canal de distribution en ligne.

Les clauses des CGV interdisaient également aux distributeurs la revente de produits de thés haut de gamme à d’autres revendeurs. Cette restriction permettait ainsi à Mariage Frères une exclusivité sur la vente en gros et bornait le périmètre commercial de ses distributeurs à la vente aux particuliers.

Cette pratique, qui restreint la clientèle à laquelle un acheteur peut vendre des biens, constitue, une restriction de concurrence par objet.

Mariages Frères a reconnu les faits et a demandé une sanction symbolique à l’Autorité. Cette dernière n’a pas accordé une réponse favorable à la demande et a décidé de sanctionner les pratiques conjointement et solidairement à Mariage Frères International SAS et à Mariage Frères SAS en leur infligeant une sanction de 4 millions d’euros.

Une autre décision a été rendue au mois de décembre 2023 par l’Autorité de la Concurrence et cette fois-ci elle concerne le groupe Rolex.
Active sur le marché français de la distribution des montres de luxe, Rolex, étant donné sa notoriété et sa part de marché, est l’acteur le plus important du marché. Pour commercialiser ses montres, l’entreprise s’appuie exclusivement sur un réseau de revendeurs indépendants agréés. Ainsi, elle revend ses montres aux détaillants horlogers-bijoutiers auxquels elle accorde le droit de distribuer ses produits, dans le cadre d’un contrat de distribution sélective.

En l’espèce, le contrat de distribution sélective régissant les relations entre Rolex et ses distributeurs interdisait la vente des montres de la marque par correspondance et donc par Internet.

Le type de clause instaurant une telle interdiction est considéré par l’Autorité et par la jurisprudence comme étant, restrictive de concurrence.

À titre de justification et sur la même lignée que les justifications apportées par la société Mariages Frères, Rolex avance que l’interdiction des ventes en ligne vise à préserver son image et lui permet de lutter contre la contrefaçon et la vente hors réseau. Cependant, l’Autorité assure que l’interdiction de vente en ligne n’est pas une mesure proportionnée.

Précisons que les principaux concurrents de Rolex, eux-mêmes confrontés à ce type de risques, ont mis en place des solutions (notamment technologiques) permettant de concilier vente en ligne et lutte contre la contrefaçon et la vente hors réseau. Par ailleurs, Rolex a développé, en lien avec l’un de ses distributeurs, un projet permettant d’acheter en ligne des montres d’occasion tout en garantissant l’authenticité. L’interdiction absolue de la vente en ligne de ses produits ne peut, dès lors, se justifier.

L’Autorité considère que ces pratiques sont graves, car elles reviennent à fermer une voie de commercialisation, au détriment des consommateurs et des distributeurs, alors que la distribution en ligne connaît un essor croissant pour les produits de luxe. Compte tenu de leur durée (plus de dix ans) et de leur nature, l’Autorité a prononcé une sanction de 91.600 000 euros. En raison des liens capitalistiques, organisationnels et juridiques qui existent entre Rolex France et les sociétés Rolex Holding SA, Rolex SA et la fondation Hans Wilsdorf, l’Autorité tient ces dernières solidairement responsables du paiement de l’amende.

De surplus, l’Autorité enjoint à Rolex France de communiquer à l’ensemble de ses distributeurs agréés le résumé de la décision. Elle devra également publier sous deux mois et pendant sept jours consécutifs le résumé de cette décision sur son site internet.

Enfin, l’Autorité enjoint à Rolex France de faire publier le résumé de la décision dans l’édition papier et numérique du Figaro ainsi que dans la revue Montres Magazine.

LUMIÈRE SUR… la possibilité de résilier ou non un contrat par voie de notification sans mise en demeure préalable

Résolution du contrat par voie de notification : dispense de mise en demeure lorsqu’il ressort des circonstances qu’elle est vaine

 

          Par un arrêt rendu le 18 octobre 2023, la Chambre commerciale de la Cour de cassation semble ajouter une exception à celle prévue par la loi en cas de résolution du contrat par notification.

L’article 1224 du Code civil prévoit que la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire, soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice.

L’article 1226 du Code civil ajoute que le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification et que, sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. Pour rappel, la mise en demeure est un acte préalable à la résiliation par lequel le créancier demande au débiteur l’exécution d’une obligation. Ce n’est qu’après cette mise en demeure que la rupture et les raisons qui la motivent peuvent être notifiées au débiteur.

Ce n’est donc qu’en cas d’urgence que la loi autorise le créancier à s’abstenir de mettre en demeure son débiteur préalablement à la résolution du contrat.

          En l’espèce, une société spécialisée dans la taille et le façonnage du calcaire et du marbre s’est vu notifier la résolution de son contrat de prestation de service par une société de distribution et d’installation de matériel de levage et d’élévation avec qui elle entretenait de longues relations contractuelles.

La société de maintenance indiquait dans son courrier de résiliation qu’en raison du comportement du dirigeant de la société cocontractante, elle ne pouvait poursuivre sa prestation. La dégradation de la relation s’expliquait par des propos méprisants de la part du client, empêchant les collaborateurs du prestataire de poursuivre le chantier.

Selon la société débitrice, la résiliation n’avait été précédée d’aucune inexécution suffisamment grave de sa part justifiant la résiliation unilatérale et, au surplus, qu’en ne procédant pas à sa mise en demeure préalable à la résolution unilatérale du contrat, la société créancière a violé l’article 1226 du Code civil.

La Cour de cassation énonce que « Si, en application des articles 1224 et 1226 du code civil, le créancier peut, à ses risques et périls, en cas d’inexécution suffisamment grave du contrat, le résoudre par voie de notification, après avoir, sauf urgence, préalablement mis en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable, une telle mise en demeure n’a pas à être délivrée, lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine. Ainsi, une cour d’appel, dont l’arrêt fait ressortir que le comportement de l’une des parties était d’une gravité telle qu’il avait rendu matériellement impossible la poursuite des relations contractuelles, n’était pas tenue de rechercher si une mise en demeure avait été délivrée préalablement à la résiliation du contrat par l’autre partie ».

          La Cour de cassation prend en compte le comportement fautif du dirigeant pour apprécier l’inutilité de la mise en demeure.

Cet arrêt semble suivre les pas de l’arrêt Tocqueville du 13 octobre 1998 (Cass. com. 13 oct. 1998, n°96-21.485) puisque le juge prenait en considération le comportement fautif du débiteur afin d’apprécier la dispense d’une mise en demeure.

Pourtant, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations entendait exclure « la gravité du comportement rendant impossible la poursuite des relations contractuelles » comme critère pour apprécier la nécessité d’une mise en demeure. En effet, l’ordonnance de 2016 a ajouté l’article 1224 dans le Code civil qui prévoit que la résiliation par voie de notification est possible uniquement en cas d’inexécution suffisamment grave du débiteur, et que la dispense de mise en demeure est uniquement valable en cas d’urgence. Ainsi, le comportement fautif du débiteur n’est pas expressément pris en compte par le législateur pour apprécier la dispense d’une mise en demeure.

Toutefois, dans certains cas, la mise en demeure ne permet pas de « réparer » la situation litigieuse. En l’espèce, le comportement du dirigeant ne permettait plus de poursuivre une intervention dans ce contexte d’extrême pression et la mise en demeure ne permettait pas de résoudre la situation litigieuse.

La Cour de cassation aurait très bien pu se ranger derrière l’urgence pour justifier la dispense de mise en demeure, mais semble plutôt créer un nouveau cas de dispense à l’article 1226 du Code civil, le caractère vain n’impliquant pas nécessairement l’urgence.

Ainsi, le créancier n’est pas obligé de mettre en demeure son débiteur lorsqu’il ressort des circonstances que la mise en demeure est vaine.

Il faudra attendre les prochaines décisions de la Cour de cassation pour voir affirmer ou infirmer le statut d’exception du caractère vain de la mise en demeure, aux côtés des autres exceptions codifiées.

LUMIÈRE SUR … les risques concurrentiels liés aux manquements aux obligations de compliance

Par un arrêt en date du 27 septembre 2023 (Cass. Com 27 sept. 2023 n° 21-21.995)[1], la Cour de Cassation a réaffirmé le principe selon lequel le non-respect d’une réglementation peut être constitutif d’un acte de concurrence déloyale et a sanctionné son auteur.

Aux termes de cet arrêt, applicable à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, la Cour a spécifiquement relevé que « Le respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier […] engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires. Il en résulte que le fait pour un concurrent de s’en affranchir confère à celui-ci un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale. »

Si cette position de principe n’est pas nouvelle (voir en ce sens : Cass. com., 20 nov. 2007)[2], il convient cependant de souligner la rédaction particulière de la motivation de la Cour de Cassation. En effet, si jusqu’alors la Cour affirmait que le manquement à une règlementation dans l’exercice d’une activité commerciale est nécessairement constitutif d’un acte de concurrence déloyale, (Cass.com 17 mars 2021 n°19-10.414)[3] elle précise cette fois qu’un tel manquement, en matière de LCB-FT, peut être constitutif d’une telle faute.  Faut-il en déduire un assouplissement, obligeant les juges du fond à contextualiser les manquements allégués ? La formulation retenue est étonnante en ce sens que tout manquement à la règlementation ne serait alors plus nécessairement constitutif d’une faute de concurrence déloyale.

Le même raisonnement parait avoir été utilisé en matière de protection des données à caractère personnel par les juridictions de première et seconde instance. Nous avons relevé deux décisions (le tribunal judiciaire de Paris[4] et la cour d’appel de Paris[5]) dans lesquelles le moyen tiré du non-respect des dispositions du RGPD a été soulevé comme concourant à des actes de concurrence déloyale.

Ainsi, l’absence de mise en conformité en matière de compliance expose les entreprises assujetties (Sapin 2, LCB/FT, vigilance, RGPD…), à 2 risques distincts : celui des sanctions (financières, réputationnelles…) qui peuvent être infligées par les autorités de contrôle, ainsi que celui de l’action en concurrence déloyale introduite par une autre entreprise qui disposerait d’un intérêt à agir.

Ce dernier risque mérite, à notre avis, d’être pris en compte par les entreprises dans leur cartographie des risques, et si elles ne l’ont pas encore établie, dans les arguments à présenter aux instances dirigeantes afin d’obtenir leur appui.

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[1] https://www.courdecassation.fr/decision/6513c635b8a50d8318699499

[2] https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=CASS_LIEUVIDE_2007-11-20_0613797&FromId=RECUEIL_OBS_2007_0609#_

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000043302271?init=true&page=1&query=19-10414+&searchField=ALL&tab_selection=all

[4] https://juricaf.org/arret/FRANCE-TRIBUNALDEGRANDEINSTANCEDEPARIS-20220415-1912628

[5] https://www.courdecassation.fr/en/decision/636ca5776c7633dcd15b374c


LUMIÈRE SUR … les récents apports jurisprudentiels en garantie des vices cachés

Le Code civil met à la charge du vendeur plusieurs obligations parmi lesquelles on retrouve la garantie contre les vices cachés. Elle est définie à l’article 1641 du même code comme la garantie à laquelle est tenu le vendeur lorsque la chose vendue contient un défaut caché qui la rend impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus.

Si la garantie des vices cachés existe depuis 1804 dans le Code civil, il reste encore des questions sans réponse concernant le régime juridique qu’on lui applique. Fort heureusement, la Cour de cassation est revenue sur certaines d’entre elles.

Par un arrêt du 5 juillet 2023 de la chambre commerciale[1], la Cour de cassation revient sur l’applicabilité de la présomption irréfragable de connaissance du vice caché et répond à la question de savoir si une telle présomption contrevient au droit fondamental à un procès équitable garanti par l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

A l’occasion de quatre arrêts rendus le 21 juillet 2023 par la chambre mixte[2], la Cour de cassation revient sur la qualification du délai biennal consacré à l’article 1648 du Code civil et sur la très controversée existence d’un délai butoir dans lequel sera enfermé ledit délai biennal, ainsi que, s’il existe, sa durée et son point de départ, dans un souci d’unification de la jurisprudence, de protection des droits des consommateurs et face aux impératifs de la vie économique[3].

Ces décisions interviennent à un moment tout à fait opportun alors que la Chancellerie a publié il y a presque un an son projet de réforme du droit des contrats spéciaux et qu’une consultation publique a eu lieu jusqu’en novembre 2023[4]. Par cette série d’arrêts, on peut légitimement se demander si la Cour de cassation ne tenterait pas d’influencer le législateur, à la veille de l’adoption de la réforme.

 

     I. La présomption irréfragable de connaissance du vice caché est-elle applicable lorsque l’acheteur est lui aussi un professionnel ?

 En l’espèce, une société constate que le moteur du tracteur qu’elle a acquis et mis en circulation est affecté d’un vice caché. Elle assigne la société venderesse en résolution judiciaire du contrat de vente, ce qui est reconnu par les tribunaux de première instance puis la cour d’appel de Caen.

La société venderesse et son assureur se pourvoient en cassation et arguent que l’application qui est faite par les juridictions inférieures de la présomption irréfragable de connaissance du vice caché par le vendeur professionnel ne peut pas jouer dès lors que l’acquéreuse est elle-même un professionnel[5].

La Cour de cassation juge que la présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue joue même lorsque l’acheteur est lui-même un professionnel, conformément à une jurisprudence ancienne et constante (Cass. 1er Civ., 21 nov. 1972, bull. n°257 ; Civ. Com., 19 mai 2021, n°19-18.230).

 

     II. La présomption irréfragable de connaissance du vice porte-t-elle atteinte au droit de la preuve garanti par l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ?

Dans ce même arrêt, pour se soustraire à la présomption irréfragable de connaissance du vice de la chose vendue, le vendeur professionnel invoquait l’argument selon lequel cette présomption « méconnaît le droit au procès équitable garanti par l’article 6, §1, de la Convention, la règle de droit nationale portant une atteinte disproportionnée au droit à la preuve d’une partie »[6], d’autant plus alors que l’acheteur en l’espèce agissait dans l’exercice de sa propre activité professionnelle.

Toutefois, la Cour juge que ladite présomption a pour objet de « contraindre [le] vendeur, qui possède les compétences lui permettant d’apprécier les qualités et les défauts de la chose, à procéder à une vérification minutieuse de celle-ci avant la vente »[7] et répond donc « à l’objectif légitime de protection de l’acheteur qui ne dispose pas de ces mêmes compétences »[8]. La présomption irréfragable de connaissance du vice de la chose vendue par le vendeur professionnel est donc nécessaire pour parvenir audit objectif et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du vendeur professionnel au procès équitable garantie par l’article 6 §1 de la Convention.

 

     III. Le délai biennal de l’action en garantie des vices cachés est-il un délai de prescription ou de forclusion ?

Dans une volonté d’unification de la jurisprudence, la Cour de cassation revient sur la qualification du délai biennal dont on dispose pour engager une action en garantie des vices cachés.

Il existait une divergence de jurisprudence au sein même de la 3e chambre civile de la Cour de cassation qui avait pu tantôt qualifier le délai de l’action en garantie des vices cachés de délai de forclusion[9], tantôt traiter ce délai comme un délai de prescription[10], laissant la doctrine perplexe[11].

La Cour de cassation réunie en chambre mixte met fin au débat en jugeant que le délai biennal prévu pour intenter une action en garantie en raison des vices cachés est un délai de prescription, qui peut donc être suspendu[12].

Pour ce faire, elle s’intéresse alors à la volonté du législateur[13]. Elle retient, d’une part, que les rapports accompagnant l’ordonnance n°2005-136 et le projet de loi de ratification font mention de l’existence d’un délai de prescription, et, d’autre part, que l’objectif poursuivi par le législateur est de permettre à tout acheteur, consommateur ou non, de bénéficier d’une réparation en nature, d’une diminution du prix ou de sa restitution lorsque la chose est affectée d’un vice caché, et que pour ce faire, l’acheteur doit être en mesure d’agir contre le vendeur dans un délai susceptible d’interruption et de suspension[14].

À la veille de la réforme du droit des contrats spéciaux, l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux rendu public par le ministère de la Justice ne qualifie pas explicitement le délai biennal de délai de prescription ou de forclusion[15]. Il faut espérer que, d’ici l’adoption de la réforme, le législateur consacre l’arrêt d’espèce rendu par la chambre mixte afin de mettre fin une bonne fois pour toutes à la controverse jurisprudentielle.

 

     IV. L’action en garantie des vices cachés est-elle enfermée dans un délai butoir ? Le cas échéant, quels sont sa durée et son point de départ ?

 La Cour de cassation, toujours réunie en chambre mixte, est aussi revenue sur l’existence d’un délai butoir au sein duquel est enfermée l’action en garantie des vices cachés, et, s’il existe, de la durée de ce délai et de son point de départ[16].

La Cour de cassation consacre l’existence d’un tel délai butoir dans lequel est enfermée l’action en garantie des vices cachés et revient sur la durée d’un tel délai et son point de départ.

Il existe un débat doctrinal et jurisprudentiel concernant le faire de savoir s’il faut encadrer l’action en garantie des vices cachés dans le délai butoir de vingt ans prévu à l’article 2232 du Code civil ou le délai butoir de cinq ans prévu à l’article L. 110-4 du Code de commerce.

La Cour de cassation considère que le délai de vingt ans de l’article 2232 du Code civil constitue le délai butoir de droit commun des actions civiles et commerciales au-delà duquel elles ne peuvent plus être exercées[17].

Par ailleurs, ce délai butoir court à compter de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie[18].

L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux hésite toujours, quant à lui, sur la durée du délai butoir et prévoit deux options : une première de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, et une seconde de dix après la délivrance de la chose vendue[19]. Les arrêts de la chambre mixte de la Cour de cassation arrivent donc à point nommé, sans doute pour tenter d’influer sur la décision finale du législateur.

 

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[1] Cass. Com., 5 juill. 2023, n° 22-11.621.

[2] Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-15.809 ; Cass. ch. mixte., 21 juill. 2023, n° 21-17.789 ; Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-19.936 ; Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 20-10.763.

[3] Communiqué de la Cour de cassation, « Vices cachés – dans quel délai l’action en garantie peut-elle être engagée ? », 21 septembre 2023.

[4] BRASSSAC L., « Réforme du droit des contrats spéciaux : ‘Nous avons conservé certains numéros emblématiques’ », Interview de Philippe Stoffel-Munck, président de la Commission ayant travaillée sur le projet de réforme du droit des contrats spéciaux, Dalloz Actualité, 30 septembre 2022.

[5] SERINET Y.-M., « Ventes entre professionnels et présomption de connaissance du vice affectant la chose objet du contrat », La Semaine Juridique Édition Générale n°28, LexisNexis, 17 juillet 20223, act. 866.

[6] Cass. Com., 5 juill. 2023, n° 22-11.621.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n°15-24.289 ; Cass. 3e civ., 5 janv. 2022, n°20-22.670.

[10] Cass. 3e civ., 15 janv. 2017, n°15-12.605 ; Cass. 3e civ., 11 avr. 2018, n°17-14.091.

[11] MAZEAUD-LEVENEUR S., « Le délai biennal de la garantie des vices cachés : forclusion ou prescription ? », La Semaine Juridique Edition Générale, Dalloz, n°3, 24 janvier 2022, act. 89.

[12] Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-15.809, pt. 21.

[13] DE ANDRADE N., « Du double délai pour agir en garantie des vices cachés : épilogue », Dalloz Actualité, 13 septembre 2023.

[14] Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-15.809, pt. 17.

[15] ROBIN-SABARD O., « Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : vente – vices cachés », Le droit en débats, Dalloz Actualité, 11 juillet 2022.

[16] Communiqué de la Cour de cassation, « Vices cachés – dans quel délai l’action en garantie peut-elle être engagée ? », 21 septembre 2023.

[17] Cass. ch. mixte., 21 juill. 2023, n° 21-17.789, pt. 11 ; Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-19.936, pt. 16 ; Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 20-10.763, pt. 20.

[18] Cass. ch. mixte., 21 juill. 2023, n° 21-17.789, pt. 15 ; Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-19.936, pt. 19 ; Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 20-10.763, pt. 27.

[19] ROBIN-SABARD O., « Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : vente – vices cachés », Le droit en débats, Dalloz Actualité, 11 juillet 2022.

LUMIÈRE SUR … la résiliation « en 3 clics » des contrats conclus par voie électronique

1/ Contexte 

Dans le contexte actuel d’inflation des prix, le Gouvernement français a pris des mesures légales pour protéger le pouvoir d’achat des Français. L’une de ces mesures est l’obligation pour les professionnels de faciliter la résiliation par voie électronique des contrats. Cette réaction législative répond à une problématique profonde et récurrente sur le manque de maîtrise des contrats par les consommateurs : un sondage Ipsos publié en 2021[1] révèle que 47 % des Français continuent à payer des abonnements qu’ils n’utilisent pas, notamment en raison des difficultés liées à la résiliation.

En effet, sont notés :

  • La complexité pour identifier le bon interlocuteur,
  • Les frais de résiliation, parfois élevés,
  • Les délais de traitement, souvent longs,
  • Et l’obligation contraignante de rédiger un courrier souvent.

C’est pourquoi la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat[2], impose désormais aux professionnels de rendre possible la résiliation par voie électronique des contrats dès lors qu’il est rendu possible de souscrire audit contrat par voie électronique (i.e. peu importe si le contrat à résilier a été en réalité conclu en magasin, par téléphone, de façon manuscrite, etc.).

La résiliation « en 3 clics » offrira désormais aux consommateurs – ainsi qu’aux non professionnels[3] – une plus grande souplesse lorsqu’ils souhaitent résilier un contrat en ligne, leur permettant ainsi de comparer les offres et de choisir les contrats les plus avantageux pour leur pouvoir d’achat.

Les clients ne seront plus obligés d’envoyer un courrier recommandé ou d’entreprendre des démarches complexes qui pourraient retarder ou dissuader la résiliation. Cela les encouragera à résilier les services dont ils n’ont plus besoin et qu’ils continueraient à payer inutilement.

 

2/ Nouvelles dispositions

Pour pallier les difficultés susmentionnées, la loi du 16 août 2022, entrée en vigueur le 1er juin 2023[4], a notamment créé :

  • Des dispositions spécifiques à la résiliation par voie électronique des contrats d’assurance (hors activités professionnelles)[5], dont les modalités techniques ont été précisées par un décret[6] incluant de nouveaux articles dans la partie réglementaire du Code des assurances,
  • Et d’autres dispositions[7] s’appliquant largement aux contrats conclus entre des professionnels, et des consommateurs et non professionnels, dont les modalités techniques ont également été précisées par un décret[8] créant de nouveaux articles dans la partie règlementaire du Code de la consommation[9].

Cette nouvelle obligation de résiliation des contrats en « 3 clics » et ses modalités techniques s’appliquent notamment aux contrats liés aux dépenses courantes. En sus de leurs réglementations spécifiques respectives, sont entre autres concernés : abonnements de presse et magazines, abonnement aux salles de sport, fourniture d’énergie et d’eau, accès à Internet et aux réseaux de téléphonie, accès aux plateformes de médias et services en ligne (streaming, musique), etc.

 

3/ Procédure de résiliation

Le décret d’application n° 2023-417 publié le 16 mars 2023 précise les modalités techniques de mise à disposition, par les professionnels, au profit des consommateurs et des non-professionnels, d’une fonctionnalité de résiliation dite « en 3 clics ». Cette fonctionnalité doit prendre la forme d’une interface en ligne sur le site web du professionnel : elle doit permettre au client de notifier sa demande de résiliation, et d’effectuer les démarches nécessaires à la résiliation du contrat. Cette fonctionnalité doit :

  • être gratuite,
  • permettre au client de s’identifier et de préciser ses références de contrat[10],
  • être accessible en permanence,
  • renvoyer directement vers le formulaire de résiliation,
  • être facile d’accès et d’utilisation,
  • être clairement identifiée sur le site web du professionnel (par ex. avec un bouton « résilier votre contrat »[11] ou mention analogue),
  • être précise sur les conséquences de la résiliation (indemnités, préavis, conséquences, etc.),
  • ne pas rendre obligatoire la création d’un espace client personnalisé,
  • si les conditions contractuelles le nécessitent, être complétée par une rubrique permettant au client de justifier du motif légitime de résiliation anticipée de son contrat, et d’en produire un justificatif[12].

Ces obligations de forme sont complétées par l’obligation de respecter un processus de résiliation dit « en 3 clics » :

  • Un clic pour accéder au formulaire,
  • Un autre clic pour enregistrer les informations renseignées,
  • Et un dernier clic pour valider ou permettre de corriger le récapitulatif des informations, et notifier la demande de résiliation. Ce dernier clic doit être identifié avec la formulation « notification de la résiliation » ou mention analogue[13].

Dès réception par le professionnel de la notification, une confirmation précisant la date d’effet et les effets de la résiliation doit être envoyée au client sur un support durable et dans des délais raisonnables.

Pour se conformer à cette nouvelle réglementation, les professionnels doivent également intégrer la procédure de résiliation par voie électronique dans leurs conditions contractuelles, ainsi que sur leurs sites web, et ce dans le respect des autres dispositions relatives à la reconduction et aux modalités de résiliation des contrats[14].

À noter toutefois que seules les modalités techniques de résiliation sont visées par cette nouvelle réglementation : le client sera toujours tenu de respecter les autres dispositions des CGV, telles que les éventuels délais de préavis, indemnités de résiliation anticipée, etc.

L’un des avantages de ces nouvelles dispositions législatives et réglementaires est la facilité de gestion des résiliations de contrats : les professionnels pourront automatiser ces demandes, et ne plus avoir besoin de traiter manuellement les courriers de résiliation. De cela résultent des économies de gestion du service client, une plus grande attractivité pour les clients, et une augmentation de la compétitivité sur les prix et la qualité du service, dès lors que les clients pourront plus facilement changer de prestataire.

 

4/ Sanction en cas de non-respect de l’obligation

Le manquement à ces dispositions sera sanctionné par une amende administrative, dont le montant ne pourra pas excéder 15 000 € pour une personne physique et 75 000 € pour une personne morale[15].

 

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[1] Ipsos, Les Français cumulent en moyenne 10 souscriptions mensuelles, septembre 2021, https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/publication/documents/2021-10/Rapport%20papernest_Ipsos.pdf

[2] Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat (1) : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046186723

[3]  Article L. 215-3 du Code de la consommation. Pour rappel, article liminaire du Code de la consommation : « Non-professionnel : toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles »

[4] A noter que ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er juin 2023, mais qu’elles ne font l’objet de contrôle de conformité la part des autorités de contrôle que depuis le 1er septembre 2023 : Communiqué de presse Entrée en vigueur de la résiliation en ligne des contrats en trois clics, ministère de l’Économie, des Finances, et de la Souveraineté industrielle et numérique, 1er juin 2023, https://presse.economie.gouv.fr/01062023-cp-entree-en-vigueur-de-la-resiliation-en-ligne-des-contrats-en-trois-clics  

[5] Articles 17 à 19 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 suscitée

[6] Décret n° 2023-182 du 16 mars 2023 relatif aux modalités techniques de résiliation et de dénonciation des contrats et règlements par voie électronique : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047314374

[7] Article L. 215-1-1 du Code de la consommation : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000046190107

[8] Décret n° 2023-417 du 31 mai 2023 relatif aux modalités techniques de résiliation des contrats par voie électronique : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047613963

[9] Articles D. 215-1 à D. 215-3 du même Code : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006069565/LEGISCTA000032807216/#LEGISCTA000047615420

[10] Pour la liste exhaustive des informations à demander au titulaire du contrat : article D. 215-2-I du Code de la consommation

[11] Article D. 215-1 du Code de la consommation

[12] Article D. 215-2, II du Code de la consommation

[13] Article D. 215-3 du Code de la consommation

[14] Articles L. 215-1 à L. 215-5 du Code de la consommation

[15] Art. L. 241-3-1. du Code de la consommation

Indication du prix unitaire entre professionnels et consommateurs

Par un arrêt du 11 janvier 2023, les juges de la Cour de cassation se sont prononcés[1] sur la validité d’un bon de commande qui ne détaille pas le prix unitaire de chaque bien et service composant ledit bon de commande – en l’espèce, pour la pose de panneaux photovoltaïques[2].

 

C’est sur la base des articles L. 221-9, L.221-5 et L. 111-1, 2°[3] du Code de la consommation que le consommateur à l’origine de l’affaire considérait que le fait de ne pas préciser les prix unitaires de chaque élément du bon de commande n’était pas conforme à l’obligation générale d’information précontractuelle. Par conséquent, le contrat aurait dû être frappé de nullité : c’est ce que la Cour d’appel de Douai a retenu[4].

 

Néanmoins, les juges de la Cour de cassation cassent l’arrêt de la Cour d’appel, au visa du seul article L. 111-1, 2° du Code de la consommation. En prononçant la nullité du contrat sur la base d’un manquement à l’obligation précontractuelle d’information, les juges du fond violent le texte en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne comporte pas. Et ce, même dans le cadre d’un cadre passé hors établissement – d’un démarchage à domicile.

 

En effet, l’article suscité dans sa rédaction applicable au jour de la conclusion du contrat – et inchangée au jour de la rédaction du présent article -, impose seulement l’indication du « prix du bien ou du service ». Sans précision sur l’indication du prix unitaire, cette mention du prix peut s’entendre comme un prix global ; et ce, sans que l’absence de détail des éléments composant le contrat ne soit per se une atteinte à l’information du consommateur, lequel reste informé du montant total à payer.

 

Cette solution se fonde sur le principe juridique selon lequel « il est interdit de distinguer là où la loi ne distingue pas » (Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus). Ainsi, les professionnels ne peuvent en principe pas être astreints à une obligation supplémentaire qui ne figure pas dans les textes.

 

Certains contrats font néanmoins exception ; c’est le cas des prix des prestations de dépannage, de réparation et d’entretien dans le secteur du bâtiment et de l’équipement de la maison[5]. Mais c’est aussi le cas lorsqu’un consommateur achète différents biens et services distincts n’ayant aucun lien entre eux et n’entrant pas dans une opération globale. C’est le cas d’achats en magasin[6], sur un site e-commerce ou une place de marché[7], : le professionnel ou l’intermédiaire doit indiquer le prix TTC de chaque bien et service, même lorsque plusieurs unités de chaque bien et service sont achetées en même temps.

 

De nombreux articles et quelques réglementations françaises et européennes, dispersés dans plusieurs textes et Codes, viennent affiner les obligations d’information sur les prix selon les situations, la qualification des parties, et les conditions de conclusion du contrat[8].

 

Le constat est le suivant : autant dans la réglementation française qu’européenne, il n’existe pas d’obligation explicite pour les professionnels de décomposer les prix respectifs des différents éléments composant un contrat. La seule exigence est en principe celle d’indiquer le prix total du contrat.

 

Néanmoins, et bien qu’il n’y ait pas d’obligation légale sur la précision des prix unitaires, ce que la Cour de cassation confirme[9], les professionnels ne sont pas à l’abri d’un revirement de jurisprudence basé sur l’exigence d’information précontractuelle claire et non ambiguë, voire d’une évolution législative.

 

En effet, l’absence de précision du prix unitaire de chaque élément d’un contrat peut poser des problèmes dans différentes situations :

 

       En cas de vice caché ou de manquement à la garantie légale de conformité : quid du remboursement si le prix n’est pas connu ;

       Pour la comparaison des prix et services similaires : enjeux de concurrence et de prix gonflés ;

       Et pour de simples raisons de transparence des prix vis-à-vis des consommateurs.

 

À une époque où le coût de la vie augmente, il apparaît que la précision des coûts individuels de chaque élément d’un contrat puisse être perçue comme un gage de transparence, et d’honnêteté, vecteur de fidélité des consommateurs.  

 

Pour éviter un tel risque, il peut donc être judicieux que les professionnels détaillent le prix unitaire de chaque bien et service dans leurs bons de commande.

 

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[1] Cour de cassation, 1re chambre civile, 11 janvier 2023 – n° 21-14.032 : https://www.courdecassation.fr/decision/63be612013ef607c90ab6142

[2] Plus précisément, deux contrats de fourniture et d’installation de panneaux photovoltaïques, financés par deux crédits souscrits par les acquéreurs, auprès de deux banques. L’opération juridique étant un ensemble contractuel (article 1186 du Code civil)

[3] Dans leurs versions applicables à la date de signature du bon de commande contesté, dont les dispositions présentement pertinentes sont inchangées au jour de la publication du présent article

[4] Cour d’appel de Douai, ch. 1, sec. 1, 4 mars 2021

[5] Arrêté du 24 janvier 2017 : le décompte détaillé, en quantité et en prix, de chaque prestation, en particulier le taux horaire de main d’œuvre et le temps estimé ou, le cas échéant, le montant forfaitaire de chaque prestation ; la dénomination des produits et matériels nécessaires à l’opération prévue et leur prix unitaire ainsi que, le cas échéant la désignation de l’unité à laquelle il s’applique et la quantité prévue ;

[6] Surtout sur la base de l’arrêté du 3 décembre 1987 relatif à l’information du consommateur sur les prix

[7] Article 1127-2 du Code civil : « Le contrat n’est valablement conclu que si le destinataire de l’offre a eu la possibilité de vérifier le détail de sa commande et son prix total et de corriger d’éventuelles erreurs avant de confirmer celle-ci pour exprimer son acceptation définitive. […] »

[8] Not. La réglementation des contrats conclus par voie électronique (articles 1125 à 1127-4 du Code civil) et la réglementation des contrats conclus à distance et hors établissement (Articles L221-1 à L221-29 du Code de la consommation), l’arrêté du 3 décembre 1987 relatif à l’information du consommateur sur les prix, la directive e-commerce 2000/31/CE, la directive 98/6 relative à la protection des consommateurs en matière d’indication des prix des produits offerts aux consommateurs 

[9] Cour de cassation, 1re chambre civile, 2 juin 2021 – n° 19-22.607 : Selon l’article L. 121-23 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, les opérations de démarchage à domicile doivent faire l’objet d’un contrat qui doit mentionner notamment, à peine de nullité, la désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens offerts ou des services proposés et le prix global à payer et les modalités de paiement.