De plus en plus de fournisseurs réduisent la quantité des biens proposés, tout en maintenant les prix à un niveau constant ou en les augmentant. Cette pratique, connue sous le nom de « shrinkflation« [1], n’est pas explicitement prohibée, mais manque de transparence à l’égard des consommateurs. C’est pourquoi, certains distributeurs font le choix d’en informer ouvertement leurs clients, par le biais d’affiches positionnées au sein de leurs enseignes, à côté des produits concernés. Cette démarche peut être perçue comme une forme de « name and shame« , suscitant ainsi un débat sur sa licéité.

Si ce type de campagne peut constituer une pratique commerciale déloyale (I), elle peut également s’apparenter à un exercice légitime du droit à l’information des consommateurs (II).

 

I. Dénonciation d’une pratique de réduflation constitutive de pratique commerciale déloyale et trompeuse

Le droit de la consommation sanctionne la pratique commerciale déloyale, c’est-à-dire contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qui altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (C. consom., art. L. 121-1). Le dénigrement est un type de pratique commerciale déloyale qui se définit comme la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent.

Dans l’affaire Carrefour c/ Pepsi Co, l’enseigne de grande distribution Carrefour a diffusé au sein de ses points de ventes une campagne de publicité intitulée « shrinkflation » indiquant aux consommateurs à propos des produits du groupe PEPSICO France « Ce produit vu son contenant baisser et le tarif pratiqué par notre fournisseur augmenter. Nous nous engageons à renégocier ce tarif ». Cette campagne, alors que s’ouvrent les négociations pour l’année 2024, a eu un impact immédiat et brutal sur PepsiCo puisque ses ventes chez CARREFOUR au dernier trimestre 2023 se sont effondrées. Pepsi Co accuse Carrefour d’avoir commis un acte de dénigrement sanctionné au titre de la concurrence déloyale et demande le retrait des affichettes.

Pour le juge des référés (T. Com. Paris 24 janvier 2024, n°2023069037), cette communication constitue une pratique commerciale déloyale et trompeuse susceptible d’altérer le comportement économique du consommateur, et ce, pour plusieurs raisons :

  • Carrefour commercialise des produits directement concurrents de ceux de PepsiCo, sous sa propre marque ;
  • Carrefour n’indique pas l’ordre de grandeur de l’augmentation du prix au kilo ou au litre ;
  • Les informations sont invérifiables puisque le discours est vague et subjectif ;
  • Carrefour mentionne le « tarif » du fournisseur qui est un élément de la relation commerciale entre PepsiCo et Carrefour, et qui n’est donc pas connu du consommateur.

 

II. Dénonciation d’une pratique de réduflation justifiée par le droit à l’information du consommateur

À l’inverse, quelques jours plus tard (T. Com. Paris 8 février 2024, n° 2024004179), le Tribunal de Commerce de Paris s’est prononcé dans une affaire similaire, mais considère cette fois qu’un distributeur peut dénoncer des pratiques de réduflation sans se rendre coupable de concurrence déloyale.

L’affaire concerne une campagne, à propos des produits des marques Unilever, Knorr, Magnum et Carte d’Or, diffusée dans les points de vente de la société Intermarché, informant les clients que « les nouveaux formats de quantité réduite ont subi une augmentation de prix injustifiée pouvant aller jusqu’à + 39 % » avec des slogans tel que « AVANT MAGNUM, ÇA VOULAIT DIRE GRAND ». Il était également indiqué pour certains produits qu’ils ne seraient plus disponibles en rayons en raison d’une hausse de prix injustifiée (« KNORR J’ADORE J’ADORAIS »).

Selon le juge des référés, l’enseigne de grande distribution Intermarché ne pratique aucun dénigrement puisque l’information qu’elle délivre par le biais de cette campagne :

  • Se rapporte à un débat d’intérêt général (les pratiques actuelles de hausses tarifaires);
  • Repose sur une base factuelle suffisante ;
  • Et est exprimée avec mesure.

 

III. Dans quelle mesure la dénonciation d’une pratique de « shrinkflation » est-elle dès lors condamnable ?

Le fait de dénoncer une pratique de shrinkflation est condamnable lorsque la dénonciation ne sert pas le débat d’intérêt général, mais surtout lorsque cette dénonciation n’est pas assez précise, quantifiable et caractérise une pratique commerciale déloyale et trompeuse.

C’est dans ce contexte, et par transparence envers le consommateur, que les pouvoirs publics se sont emparés du sujet par un arrêté du 16 avril 2024 afin de rendre un affichage obligatoire de cette information par les industriels dans l’intérêt des consommateurs.

En effet, à partir du 1ᵉʳ juillet 2024, il sera obligatoire, pour les distributeurs, lorsqu’un produit de grande consommation a subi une modification de poids ou de volume à la baisse entrainant une hausse de prix à l’unité de mesure de préciser de l’évolution du prix rapporté au poids, afin que le consommateur soit informé de l’évolution du prix.

[1] Néologisme dérivant de l’anglais et provenant de la contraction du verbe « to shrink » signifiant rétrécir et du mot « inflation », francisé en “réduflation”

 

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SOURCES :

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