Résolution du contrat par voie de notification : dispense de mise en demeure lorsqu’il ressort des circonstances qu’elle est vaine

 

          Par un arrêt rendu le 18 octobre 2023, la Chambre commerciale de la Cour de cassation semble ajouter une exception à celle prévue par la loi en cas de résolution du contrat par notification.

L’article 1224 du Code civil prévoit que la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire, soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice.

L’article 1226 du Code civil ajoute que le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification et que, sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. Pour rappel, la mise en demeure est un acte préalable à la résiliation par lequel le créancier demande au débiteur l’exécution d’une obligation. Ce n’est qu’après cette mise en demeure que la rupture et les raisons qui la motivent peuvent être notifiées au débiteur.

Ce n’est donc qu’en cas d’urgence que la loi autorise le créancier à s’abstenir de mettre en demeure son débiteur préalablement à la résolution du contrat.

          En l’espèce, une société spécialisée dans la taille et le façonnage du calcaire et du marbre s’est vu notifier la résolution de son contrat de prestation de service par une société de distribution et d’installation de matériel de levage et d’élévation avec qui elle entretenait de longues relations contractuelles.

La société de maintenance indiquait dans son courrier de résiliation qu’en raison du comportement du dirigeant de la société cocontractante, elle ne pouvait poursuivre sa prestation. La dégradation de la relation s’expliquait par des propos méprisants de la part du client, empêchant les collaborateurs du prestataire de poursuivre le chantier.

Selon la société débitrice, la résiliation n’avait été précédée d’aucune inexécution suffisamment grave de sa part justifiant la résiliation unilatérale et, au surplus, qu’en ne procédant pas à sa mise en demeure préalable à la résolution unilatérale du contrat, la société créancière a violé l’article 1226 du Code civil.

La Cour de cassation énonce que « Si, en application des articles 1224 et 1226 du code civil, le créancier peut, à ses risques et périls, en cas d’inexécution suffisamment grave du contrat, le résoudre par voie de notification, après avoir, sauf urgence, préalablement mis en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable, une telle mise en demeure n’a pas à être délivrée, lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine. Ainsi, une cour d’appel, dont l’arrêt fait ressortir que le comportement de l’une des parties était d’une gravité telle qu’il avait rendu matériellement impossible la poursuite des relations contractuelles, n’était pas tenue de rechercher si une mise en demeure avait été délivrée préalablement à la résiliation du contrat par l’autre partie ».

          La Cour de cassation prend en compte le comportement fautif du dirigeant pour apprécier l’inutilité de la mise en demeure.

Cet arrêt semble suivre les pas de l’arrêt Tocqueville du 13 octobre 1998 (Cass. com. 13 oct. 1998, n°96-21.485) puisque le juge prenait en considération le comportement fautif du débiteur afin d’apprécier la dispense d’une mise en demeure.

Pourtant, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations entendait exclure « la gravité du comportement rendant impossible la poursuite des relations contractuelles » comme critère pour apprécier la nécessité d’une mise en demeure. En effet, l’ordonnance de 2016 a ajouté l’article 1224 dans le Code civil qui prévoit que la résiliation par voie de notification est possible uniquement en cas d’inexécution suffisamment grave du débiteur, et que la dispense de mise en demeure est uniquement valable en cas d’urgence. Ainsi, le comportement fautif du débiteur n’est pas expressément pris en compte par le législateur pour apprécier la dispense d’une mise en demeure.

Toutefois, dans certains cas, la mise en demeure ne permet pas de « réparer » la situation litigieuse. En l’espèce, le comportement du dirigeant ne permettait plus de poursuivre une intervention dans ce contexte d’extrême pression et la mise en demeure ne permettait pas de résoudre la situation litigieuse.

La Cour de cassation aurait très bien pu se ranger derrière l’urgence pour justifier la dispense de mise en demeure, mais semble plutôt créer un nouveau cas de dispense à l’article 1226 du Code civil, le caractère vain n’impliquant pas nécessairement l’urgence.

Ainsi, le créancier n’est pas obligé de mettre en demeure son débiteur lorsqu’il ressort des circonstances que la mise en demeure est vaine.

Il faudra attendre les prochaines décisions de la Cour de cassation pour voir affirmer ou infirmer le statut d’exception du caractère vain de la mise en demeure, aux côtés des autres exceptions codifiées.

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